Message | ABÉCÉDAIRE DU CHEF D'ÉTABLISSEMENT
Préambule
Le bonheur que je connais depuis vingt-trois ans à la tête de lycées très divers m'a donné envie de partager quelques considérations sur le métier de proviseur tel que j'ai appris à l'exercer. Beaucoup a été écrit sur la gouvernance et l'évolution de notre métier. Ma contribution personnelle consiste à regrouper sous forme d'abécédaire quelques clés utiles sur la posture « idéale » du chef, sur ce qui m'a semblé être le fil d'Ariane pour sortir du labyrinthe du pilotage d'établissement. C’est donc bien du point de vue du chef d’établissement que procèdent ces modestes considérations.
La première de ces clés est la notion d'intelligence émotionnelle que j'ai découverte il y a vingt ans quand j'étais en poste en Amérique du sud dans le réseau AEFE. Tenter de la cerner pour ensuite la développer et la cultiver m'a permis de progresser. J'en suis arrivé à la conclusion que se limiter à l'intelligence cognitive ne peut pas générer une bonne gouvernance. Notamment pour la gestion de l'affect et de la communication, qui sont notre cœur de métier.
La deuxième clé est le climat scolaire tel qu'il a été décrit par Fotinos, Debarbieux, Bisson-Vaivre et leurs équipes depuis les années quatre-vingt-dix, avec les auteurs anglo-saxons, avant d'être tardivement validé en France vingt ans plus tard. Il est rare aujourd'hui qu'un sujet de concours de personnels de direction n'y fasse pas référence. Il était temps.
La troisième clé est simplement la gouvernance du cœur. Donner sans attendre de retour, pratiquer l'empathie parce qu'on est spontanément enclin à la générosité, montrer aux membres de la communauté scolaire qu'on les aime. Parce qu'on aime ce métier qui est avant tout une façon d'être.
Pour paraphraser Jean Jaurès, je souhaite ici « faire œuvre d'homme » avant de disparaître « dans le silence et dans l'oubli. »
Bordeaux, le 10 janvier 2019. Stéphane CZYBA, proviseur du Lycée Brémontier.
A. Autorité. Le problème aujourd’hui est la perception et la compréhension de l’autorité. Auctoritas vient du verbe latin "augere" (augmenter), c'est ce qui fait grandir.
Ni dureté froide, ni mollesse tiède, l’autorité est un service. Une gouvernance qui refuserait l'autorité angoisse profondément le groupe, puis amène sa déstructuration rapide et des passages à l'acte (voir Kurt Lewin op. cit.)
L’autorité n’est pas descendante d’un supérieur vers un subordonné, elle naît de la confiance suscitée auprès des personnels de sorte qu’en retour, par un lien d’amitié, ces personnels produisent des solutions et des initiatives.
Décider signifie mettre en jeu des critères de valeur. Agir est aussi décider tout ce que l’on peut faire et faire tout ce qu’on a décidé.
Quand le chef prend une décision, il faut toujours qu’il se demande quel impact elle aura sur chacun des exécutants jusqu’au bout de la chaîne ; pour ce faire il est bon de s’enquérir de l’effet de cette décision auprès des exécutants eux-mêmes. Outre le retour utile des réactions recueillies, cette écoute renforce le sentiment de confiance, d’être compris par les décideurs et donc respecté à tous les niveaux de l'échelle. Proximité et réactivité sont deux qualités nécessaires à notre pilotage d’établissement scolaire.
Il est fondamental de se souvenir qu’il faut aller recueillir les témoignages les plus intéressants en coulisse, loin de la lumière du premier cercle, car au premier rang il n’y a que les courtisans.
Selon l'analyse durkheimienne, la notion d'autorité est inséparable du problème politique de la cohésion sociale, et c'est précisément ce qu'il faut viser in fine.
B. Bienveillance. La bonne gouvernance est celle du cœur, on n’entraîne les gens derrière soi que par la passion, les tripes, même si l’intelligence joue aussi un rôle moteur, c’est d’abord l’affect qui met les gens en marche.
Tous les rituels et les symboles qui véhiculent cet affect : cérémonies, médiatisation, marques de reconnaissance, médailles et citations sont à cultiver en ce qu’elles génèrent d’adhésion et d’engagement. La dimension symbolique doit retrouver ses lettres de noblesse dans notre métier.
Les personnels comme les élèves doivent être aimés et guidés, c’est tout ce qu’ils attendent d’un chef.
Le Rapport d’octobre 2018 (op.cit.) de l’IGAENR-IGEN précise : « Alors que la France a fait le choix de la fonction publique d’État, avec toute la charge symbolique que cela comporte, aucun moment véritablement solennel *ne marque l’entrée du néo-titulaire dans son corps de carrière et aucun document ne symbolise la forme de « contrat » qui s’établit entre lui et la Nation. »
*Souligné par nous.
C : les quatre “C”. Les 4 phases d’un bon pilotage sont :
1) La conception ou planification.
2) La conviction à partager qui devient force de persuasion.
3) La conduite de l’action avec les choix à faire ou « développement ».
4) Le contrôle puis auto-évaluation (souvent sacrifiés à tort) nécessairement suivis (si nécessaire) d’un ajustement. Attention : contrôler ne veut pas dire évaluer. En outre, un projet ne se contrôle pas, il s’évalue.
Pour compléter ce processus, la démarche Qualéduc utilise judicieusement la roue de Deming.
Le «cadre de référence européen» propose une méthodologie d'assurance qualité, fondée sur l'amélioration continue, portée par la roue de Deming ou PDCA (Plan-Do-Check-Act). Portée par le chef d'établissement, l'auto-évaluation est mise en œuvre par l'ensemble de la communauté éducative. Il s’agit :
· D’assurer la qualité dans un processus d'amélioration continue.
· D’améliorer l'efficience et l'équité du système d'éducation et de formation.
E. Évaluer. Evaluer, c’est mettre de la « valeur » et des « valeurs » : un bon chef est le garant de la ligne idéologique de son établissement (en cohérence avec les lois de la République.) Administrer en oubliant de faire vivre des valeurs est voué à l’échec. Les prêcher sans les incarner n’a aucun sens. L'exemplarité est une nécessité. Evaluer c’est piloter des objectifs, non pas édicter des normes.
Un chef est tenu d'évaluer (PPCR) les personnels qu'il encadre. Pour autant, il faut éviter à tout prix qu'une évaluation soit perçue comme un jugement qui procède de l'axiologie classique bien et mal. Évaluer devrait surtout inviter la personne évaluée à partager des valeurs communes qui sous-tendent la culture d'un établissement.
F. Faciliter et accompagner. Les personnes émotionnellement intelligentes sont flexibles et en constante adaptation. Elles connaissent la dimension paralysante de la peur du changement qui peut menacer leurs chances de succès et de bonheur. Elles sont donc attentives aux changements qui s’annoncent et forment des stratégies pour les gérer. Un bon chef envoie des signaux positifs aux personnels déstabilisés par le changement en montrant qu’il tient le cap et qu’il a anticipé la tempête. Il faut changer la manière de changer. Cela compense l'impréparation des réformes et l'absence chronique de concertation.
Il faut par ailleurs accompagner la créativité, qualité parfois mise en veilleuse par l’imposition de la doxa et bridée par notre pensée unique qui fige les choses. Or « La vie est, au mieux, un processus fluide et changeant en lequel rien n'est fixé. » (Carl Rogers, op. cit.) Nous possédons des ressources particulières en matière de créativité. Il appartient aux corps d’encadrement de faciliter cette créativité (je pense aussi aux corps d’inspection qui ont parfois du mal à sortir de la doxa.
G. Gestion humaine (et intelligence émotionnelle) :
on se trompe rarement sur les gens car l’intelligence émotionnelle (voir infra l'entrée “Intelligence émotionnelle”) est étroitement associée à la sensibilité sociale : la faculté d'interpréter les réactions des autres et de comprendre ce qu'ils traversent.
En revanche il faut savoir aussi gérer les personnalités toxiques, car pour la plupart des gens, gérer des individus au caractère difficile est épuisant et frustrant. Or un bon chef doit savoir garder le contrôle sur ce type d'échanges en maîtrisant ses propres émotions. Ce que l’Education Nationale peine à prendre en compte, ce sont les compétences psychosociales, c’est-à-dire (selon l’OMS) « la capacité d’une personne à répondre avec efficacité aux exigences et aux épreuves de la vie quotidienne (…) les compétences psychosociales ont un rôle important dans la promotion de la santé et du bien-être physique, mental et social ». Ces dix compétences psychosociales doivent être impérativement mobilisées pour garantir la réussite : savoir résoudre les problèmes/savoir prendre des décisions, avoir une pensée créative/avoir une pensée critique, savoir communiquer efficacement, être habile dans les relations interpersonnelles, avoir conscience de soi/avoir de l’empathie pour les autres, savoir gérer son stress/savoir gérer ses émotions.
H. Humour, humilité et humiliation. Manier l'ironie et le deuxième degré n'est pas possible avec tous, mieux vaut être prudent pour éviter de blesser. Pourtant, savoir faire preuve d'autodérision est une force et il faut que le chef soit capable, lui, d'accepter plus facilement les plaisanteries des autres, dès le moment où l'on est capable de faire la différence entre humour et humiliation en cultivant l'humilité qui est une grande qualité de chef. L'assurance, la lucidité et une grande ouverture d'esprit en sont les clés.
I. Intelligence émotionnelle. Un bon chef devrait être doté d’intelligence émotionnelle (QE) plutôt que d’intelligence classique (intelligence cognitive) mesurée par le QI, car qu'elles soient plutôt introverties ou extraverties, les personnes à l'intelligence émotionnelle élevée sont curieuses de tous ceux qui les entourent. Cela grâce à leur empathie, l'un des principaux traits de caractère associés à un QE élevé. Plus on se préoccupe des autres et de ce qu'ils traversent, plus on montre de curiosité envers eux. Un chef avec une intelligence émotionnelle défaillante ne saura pas interagir.
On reconnait une intelligence émotionnelle élevée à la capacité chez une personne à contrôler ses émotions parce qu’elle les comprend, et qu’elle se sert d'un lexique émotionnel développé pour les décrire. Des décennies de recherche ont montré que 90% des personnes les plus performantes ont un quotient émotionnel élevé. L'intelligence émotionnelle, c'est ce "petit quelque chose" d'intangible en chacun de nous. Elle affecte notre manière de nous comporter, de gérer les complexités de la vie sociale et de prendre les décisions personnelles qui mèneront aux meilleurs résultats. La France tarde à prendre en considération la notion même d'intelligence émotionnelle.
Intelligence émotionnelle et climat scolaire. Les compétences psychosociales, émotionnelles et éthiques favoriseraient en effet les capacités des élèves à apprendre et à résoudre les problèmes de manière non violente (voir aussi CNV, la communication non violente.) Un climat scolaire positif peut créer un cercle vertueux par l’enseignement de compétences sociales, de coopération entre pairs et enseignants, en promouvant une stabilité émotionnelle ; au-delà de la création d'une communauté scolaire unie et d'un effet établissement positif, tout ceci constitue des expériences de socialisation indispensables pour une société harmonieuse. Le chef d’établissement apparaît comme un pivot du climat scolaire, sa responsabilité est donc claire dans ce domaine.
La recherche comparative internationale montre que y compris dans les zones les plus déshéritées, le climat scolaire peut être extrêmement positif (voir Debarbieux, 2006 et 2008, Moignard, 2008) car l’école est vécue comme un capital social au sein des communautés. Rien n'est donc joué dès le départ et les déterminismes sociaux peuvent être battus en brèche.
J. Justice scolaire. La perception d’une faiblesse de la justice scolaire (au sens ici de l’application du règlement scolaire) est un des facteurs explicatifs majeurs de la violence à l’école. Il est impératif de bien définir la qualité des règles définissant le vivre ensemble. Les Québecois parlent de « communauté juste. » Nous privilégierons donc des règles claires, transparentes et compréhensibles. C'est pourquoi la rédaction/diffusion/compréhension du Règlement Intérieur est aussi une priorité. Toute la communauté scolaire doit y être associée par le biais des CVL, conseils pédagogiques et autres. Le chef est alors le garant, l'arbitre de ce protocole régissant les relations sociales, les normes partagées, la sécurité de chacun et la participation de tous.
Le sentiment de justice scolaire est également dépendant de la manière dont procède l’évaluation à l’école. Le consensus devrait être pour une évaluation encourageante, plutôt qu’au cumul de stress que des évaluations uniquement normatives et souvent mal préparées et mal coordonnées induisent. Environ 30% des élèves se sentent en situation d’injustice dans le système scolaire français ce qui est le premier facteur de décrochage. Le favoritisme et les traitements inégaux sont associés avec des sentiments de peur et d’insécurité, à du harcèlement voire des menaces et de l'incivilité. La honte et l’humiliation peuvent exploser en violence.
« Il s’agit de promouvoir une culture de la sécurité du parcours de l’élève, c'est-à-dire la possibilité de le guider, de l’assurer comme le fait un guide haute montagne, tout au long de ses apprentissages de façon à prévenir la rupture. » (Claude Bisson-Vaivre, 2011)
L. Lucidité. Être conscient de ses forces et de ses faiblesses, comme de celles de son établissement. Il faut connaitre les domaines où l'on excelle et ceux où l'on est faible. Savoir également ce qui nous fait réagir et dans quels environnements (situation comme entourage) nous avons les meilleures chances de succès. Être émotionnellement intelligent, c'est avoir conscience de ses forces et savoir en tirer parti au maximum, sans se laisser freiner par ses faiblesses.
M. Motivation. Tout le monde de l'éducation s'accorde à dire que motiver les élèves est ce qui est le plus difficile. Il en est de même pour le corps enseignant qui est confronté en permanence au doute, à l'absence de reconnaissance, à la dévalorisation à tous les sens du mot. Une énième réforme entraîne systématiquement la démotivation. Là encore, il s'agit de dompter la peur du changement, rassurer, pratiquer l'empathie, valoriser la réussite des porteurs de projets, le cas échéant accompagner un refus d'une contre-proposition, éviter la « perte de face » chez l'autre, sentiment qui génère automatiquement l'humiliation. Embarquer des équipes dans un projet innovant est à chaque fois motivant.
N. Non : savoir aussi dire non (à soi-même et aux autres) La posture appropriée d'un chef implique de savoir se contrôler. On ne recherche pas la satisfaction immédiate et on évite les comportements impulsifs. Des études montrent que plus on a du mal à dire non, plus on risque de tomber dans le stress, le burn-out et même la dépression. "Non" est un mot puissant qu'il ne faut pas craindre d'employer. Autant que possible il faut éviter les phrases évasives comme "Je ne suis pas sûr de pouvoir" ou "Je ne sais pas". L'usage pertinent du « non » décuple la valeur du « oui » ! C'est sur cet équilibre que se construit le consensus.
O. Ouverture. Il faut entendre ici ouverture à l'autre. Un chef doit être accessible. Penser que la mise à distance des personnels est une règle de management est une erreur majeure. On ne sanctuarise pas cette fonction en restant dans sa tour d'ivoire. Être accessible et disponible ne remet pas en question les prérogatives de commandement et n'est pas signe de démagogie.
Un chef ne doit jamais oublier qu’il est de passage lui aussi. Nous terminerons tous de la même manière et au même endroit. Restons tout simplement humain. Le fait de donner spontanément, sans rien attendre en retour, a beaucoup d'impact sur les gens. C’est d’ailleurs la qualité majeure des meilleurs professeurs qui pratiquent la transmission comme l’on fait un cadeau, de soi, de son savoir et de son expérience. Il doit en être de même chez un chef qui reste un transmetteur.
P. Pilotage. Voir supra et infra. Une bonne gouvernance doit avant tout prendre en compte comme point de départ et d'arrivée le climat scolaire (cf. Rapport DEGESCO Debarbieux 2012.) Entre autres, ce rapport met en lumière la prédominance du ressenti dans la communauté scolaire, sur les faits réels. Les enquêtes de victimation et climat scolaire montrent à l'évidence que 90% des élèves se disent heureux ou plutôt heureux à l'école. Cependant bizarrement, travailler sur l'amélioration du climat scolaire n'est pas aussi courant que cela devrait l'être chez nos collègues français. D'ailleurs avant 2011 cette notion n'avait pas été validée en France …
Il ne faut pas la limiter aux seuls élèves. Toute la communauté scolaire est concernée, à commencer par les enseignants, ce qu'on oublie trop souvent. Le profond malaise ressenti aujourd'hui en atteste. Piloter signifie donc formuler des hypothèses, en contrôler la pertinence et avancer (voir supra, la roue de Deming.).
Les effets d’une organisation communautaire du travail en équipe accompagnée d’une réelle participation des élèves aux décisions a un effet très protecteur pour les élèves comme pour les enseignants et autres membres du personnel. Il est remarquable que dans ce type d’organisation les enseignants soient absents moins souvent et expriment plus de satisfaction quant à leur travail. Le rôle du chef d’établissement ne saurait ici être sous-estimé.
Le rapport de l’IGAENR-IGEN d’octobre 2018 (op.cit.) préconise le « lancement d’un accompagnement de proximité (GRH de proximité) ». De même, la « reconnaissance et la considération accrue qui doivent naître de la réforme, et de l’engagement qu’elle doit valoriser et encourager : reconnaissance des chefs d’établissements en tant que premiers responsables ressources humaines * (RH), des acteurs de la gestion en académie comme concourant au bien être des enseignants *, des enseignants comme professionnels reconnus et valorisés * comme tels. » (op.cit. idem.)
* Souligné par nous.
Q. Quête de perfection. Ne pas viser la perfection. La quête de perfection revient à se condamner à un perpétuel sentiment d'échec, qui donne envie d'abandonner ou de faire moins d'efforts. Mettre très haut la barre ne signifie pas devenir intransigeant quant aux résultats. Comme pour les publics scolaires fragiles, mieux vaut souvent formuler des objectifs raisonnables et à court terme, faciles à atteindre et gratifiants pour celui qui les a atteints. Faire un pas après l’autre garantit d’arriver au sommet.
Les programmes et actions innovantes ont aussi besoin de temps pour pénétrer la culture d’établissement, il est donc important de se munir de patience et d'outils d 'évaluation pertinents pour éviter le découragement. Sans une véritable évaluation et une prise de conscience de la lenteur des progrès réalisés le programme peut être rapidement abandonné et devenir contre-productif, par frustration du personnel, des élèves et des parents d’élèves.
R. Recherche de sens. Diriger un EPLE peut se résumer essentiellement à retrouver du sens. Notre système éducatif est une nébuleuse qui laisse perplexe. Les successions de réformes ministérielles, les chefs d'établissement qui se suivent sans continuité dans les politiques mises en place, tout ce patchwork doit être remis en cohérence. Tout doit être mis en œuvre pour faire sens. D'abord aider à répondre à de simples questions comme : à quoi je sers ? (D'où l'importance des lettres de mission, feuilles de route, fiches de poste, entretiens de carrière, etc.)
ou encore comment mon action s'insère-t-elle dans un dispositif ?
Comme le rappelle le Rapport 2018-091 d’octobre 2018 de l’IGAENR-IGEN (op.cit) : « Sur le modèle de ce qui est pratiqué pour les IMP, le chef d’établissement devrait pouvoir fixer une lettre de mission * à chaque enseignant, en concertation avec les équipes pédagogiques, que celle-ci ouvre droit ou non à rémunération complémentaire, donnant lieu à un bilan d’activité, dont il faut définir la périodicité. En contrepartie les enseignants devraient pouvoir être davantage associés à la gestion de certaines procédures comme la participation à la définition des postes à profil * ou à la sélection des professeurs contractuels. »
Les projets d'établissement, les contrats d'objectifs et autres documents contractuels sont nécessaires mais pas suffisants pour cette quête de sens. Là encore l'action du chef est déterminante : à l'instar d'un aiguilleur du ciel, il permet à chaque pilote de mener son appareil à bon port quelles que soient les conditions météo et la saturation de l'espace aérien.
* Souligné par nous.
S. Stress. Il faut savoir éviter la rancune : les émotions négatives provoquées par une rancune tenace ne sont qu'une réaction au stress. Pour l’évacuer il faut oublier sa rancune. Rappelons qu’un bon chef doit savoir garder le contrôle en cas de manifestations d’hostilité en maîtrisant ses propres émotions.
Paradoxe du chef : savoir déconnecter alors qu’on est programmé pour être mobilisé 24/24. Mettre régulièrement la technologie à distance (téléphone, courriels, etc.) Il s’agit d’accorder une pause à son corps comme à son esprit et tenir les facteurs de stress à distance.
Les meilleurs outils de gestion du stress reposent sur une politique de prévention ambitieuse et cohérente, que ce soit auprès des élèves ou des personnels.
« Prévenir c’est déjà guérir » a dit Léonard de Vinci. N’oublions pas que l’éducation est déjà en soi un acte de prévention. Pour préciser en termes d’action pour les élèves, un programme de prévention doit intégrer la mise en place d’alternatives aux conduites à risque avec une politique culturelle, artistique et sportive ambitieuse dans chaque établissement, d’une veille éducative permettant de prévenir le décrochage. Pour les personnels, l’approche professionnelle en termes de santé et bien-être au travail est précieuse pour prévenir le stress et la démotivation ; nous pouvons faire aussi le lien avec la notion de climat scolaire (voir supra).
T. Transformation et transfert de compétences. C'est en innovant qu'on atteint un triple objectif : transformer pour améliorer, mobiliser les équipes autour d'une aventure commune enrichissante, enfin transférer les nouvelles compétences acquises à d'autres équipes. Car notre métier reste une mission de transmission, nous sommes des passeurs et des relais. Dans le domaine de l'éducation, innover aujourd'hui n'est plus une prouesse, c'est devenu une nécessité quotidienne. C'est (re) donner de l'espoir, montrer le changement sous son jour le plus positif en suscitant chez les personnels de la confiance en soi : j'ai été capable de mettre en place un dispositif nouveau, d'ouvrir la voie.
U. Universalité. Un EPLE est un microcosme, un système, une réduction de l'univers, à l'image des lois qui le régissent. En cela diriger un EPLE en connaissance de cause est totalement fascinant. Pour le comprendre et le rendre intelligible ensuite, il ne suffit pas de savoir l'analyser. Il faut surtout l'appréhender dans sa globalité, dans ce qu'on appelle une approche systémique, gage de cohérence, d'unité et de sens.
V. Valeurs. Bien qu'apparemment artificiel, l'exercice consistant à énumérer les valeurs qu'il faut retrouver dans l'ADN d'un établissement, et dans ses règles de pilotage, me semble fécond :
Sans ordre préétabli, je citerai le respect qui doit être une vertu cardinale, la confiance assortie de tolérance, la bienveillance et son pendant l'exigence, l'humilité, l'estime de soi et la lucidité. Je rajouterai pour finir l’altruisme. Ces valeurs doivent être explicitement rappelées à chaque étape, partagées car elles aussi sont génératrices de sens.
« Les écoles gouvernées par un système de valeurs partagées et d’attentes quant au comportement, dans lesquelles des interactions sociales profondes s’établissent et dans lesquelles les élèves développent un fort sentiment d’appartenance, et l’impression que les adultes se soucient d’eux souffrent également de moins de désordre.» (Denise Gottfredson, 2003.)
Chez les personnels de direction, ce sont les valeurs qui doivent motiver toute décision : se souvenir au nom de quoi je décide.
L’école de la citoyenneté repose évidemment sur l’acquisition de ces valeurs, ce qui reste lié à une profonde refondation de notre système éducatif.
Z. Zone de confort et zone de grandeur. Sortir de sa zone de confort pour surmonter ses peurs, son manque de confiance en soi, permet d'accéder à la zone d'apprentissage (qui elle-même redonne un sentiment de confort croissant) pour ensuite parvenir au "nirvana" qui est la zone de grandeur.
Sources et références :
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Debarbieux, E. (2012). Enquête de victimation et de climat scolaire auprès des personnels de l’éducation nationale en Seine-Saint-Denis. Conseil Général de la Seine Saint-Denis, janvier 2012. On line : http://www.seine-saint-denis.fr/Enquete-de-victimation-et-de.html
Bisson-Vaivre, C. (2011). Ecole et sécurité: d'une politique sécuritaire à une culture de la sécurité in Cahiers de la sécurité, N°16 (avril-juin 2011).
DEPP/Ministère de l’éducation nationale (2011). Résultats de la première enquête nationale de victimation au sein des collèges publics au printemps 2011. Note d’information n° 12-14, octobre. On line : http://media.education.gouv.fr/file/2011/49/0/DEPP-NI-2011-14-enquete- nationale-victimation-colleges-publics_197490.pdf
Fotinos, G. (2006). Le climat scolaire des lycées et collèges. Etat des lieux, analyse, propositions. MGEN, CASDEN, FAS-USU
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